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Pauvres Créatures : un succès qui divise
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Pauvres Créatures : un succès qui divise
Pauvres Créatures : un succès qui divise

Pauvres Créatures : un succès qui divise

Le succès de Pauvres Créatures (Poor Things de son titre original) est indéniable et pour cause : cinq BAFTAS Awards, deux Golden Globes et quatre Oscars dont celui de la meilleure actrice pour Emma Stone. Dans les salles aussi le film a réussi son coup : sorti le 17 janvier dernier en France, il cumulait au 21 février 99,6 millions de dollars de recettes au box-office mondial. Cependant, au-delà des chiffres et des distinctions, tout n’est pas rose à propos du dernier film de Yorgos Lanthimos. En effet, le film a énormément divisé : d’un côté, les fans incontestés qui le qualifie de chef-d’œuvre mais aussi d’hymne féministe et de l’autre, ceux qui ne voient qu’en Pauvres Créatures un bazar sans nom et une insulte aux femmes. Décryptage.

Tout commence lorsque Godwin Baxter (Willem Dafoe), docteur aux allures de savant fou, crée Bella (Emma Stone), une enfant dans un corps de femme adulte. D’abord enfermée dans la demeure de son créateur, Bella va vite avoir faim de quelque chose de plus grand et s’enfuir à travers le monde avec un manipulateur chronique dénommé Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo). S’en suit un festival de visuels impressionnants entre les villes explorées par Bella, le bateau sur lequel son compagnon de voyage et elle-même sillonnent le monde ou la demeure de Godwin Baxter.

Esthétiquement, ce film est un régal pour les yeux. Décors d’époque délirants mêlés à la science-fiction, paysages hauts en couleurs, costumes exubérants… L’univers visuel de Pauvres Créatures est particulièrement réussi et cohérent avec la vision du monde de Bella. D’ailleurs, les couleurs évoluent avec elle, passant du noir et blanc lors de sa première phase d’enfermement à des couleurs vives pendant son émancipation, puis à de tons plus ternes lorsqu’elle arrive à « l’âge de raison » après maintes péripéties.

Mais alors, qu’est-ce qui dérange tant dans Pauvres Créatures ? Et bien ce qui fait de Bella un personnage unique, c’est qu’elle est une enfant dans un corps d’adulte. C’est en trouvant le corps sans vie d’une jeune femme enceinte s’étant donné la mort que Godwin décide de placer le cerveau du bébé à naître dans le corps de sa mère. Et c’est dans ce corps déjà adulte que Bella doit appréhender toutes les étapes importantes de l’enfance comme l’apprentissage de la marche et de la parole. C’est ici que les choses se gâtent. A ce moment, Bella découvre la masturbation et en devient accro, donnant lieu à des scènes troublantes à table lors du dîner en décalage complet avec son âge mental. D’autre part, comme le dit si bien le journaliste Télérama Samuel Douhaire : « les scènes érotiques […] semblent avoir été tournées par un adolescent priapique qui ne connaîtrait les femmes que par la fréquentation assidue de YouPorn. ».

Effectivement, au-delà du fait que les scènes érotiques soient extrêmement nombreuses dans Pauvres Créatures, la façon dont le sujet est abordé est assez contradictoire. Ici, le sexe se veut être un outil de libération et de découverte pour Bella. Mais ce qui pose problème, c’est que la sexualité et la sexualisation arrivent beaucoup trop tôt dans son évolution. Lorsque Bella commence à découvrir sa sexualité, elle est une enfant dans sa tête et est incapable de discernement, et donc de consentement réel (ce que Duncan Wedderburn a très bien compris). D’ailleurs, les conversations dans le film autour de ce sujet sont lunaires, je pense ici notamment à la conversation entre Godwin et Max (l’apprenti du savant fou incarné par Ramy Youssef), ce dernier demandant au premier s’il n’est pas trop dur pour lui de résister au charme de Bella. Il répond alors que « ses pulsions sont contrôlées par son instinct paternel ». Donc globalement, même si Bella se réapproprie sa sexualité plus tard dans le film en envoyant balader Wedderburn ou en décidant de se prostituer, la vision émancipatrice est vite noyée dans le male gaze.


Emma Stone a montré à maintes reprises qu’elle était très attachée au personnage de Bella et a eu son mot à dire sur les choix du réalisateur puisqu’elle est aussi productrice du film. Elle défend ces tournures scénaristiques en disant que Bella n’a aucune honte vis-à-vis de son corps et de ses choix et qu’il est important de rendre justice à cet aspect de sa personnalité.


Il est certain que Pauvres Créatures ne mettra jamais tout le monde d’accord, mais peut-être en sera-t-il autrement pour le prochain film de Yorgos Lanthimos prévu pour juin 2024 Kinds of Kindness ?

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