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Jeunesse (Les Tourments) : Sans les coutures, la robe
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Jeunesse (Les Tourments) : Sans les coutures, la robe
Jeunesse (Les Tourments) : Sans les coutures, la robe

Jeunesse (Les Tourments) : Sans les coutures, la robe

Ce vendredi 28 mars, dans le cadre du festival Cinéma du Réel, était projetée la seconde partie de Jeunesse de Wang Bing intitulée « Les Tourments ». Le réalisateur y poursuit le portrait scalaire de la jeunesse ouvrière chinoise dans ces ateliers textiles à Zhili, petite ville dortoir à cent-cinquante kilomètres de Shanghai.

© 2024 House on Fire – Gladys Glover – CS Production

Là où la première partie (Le Printemps) filmait avec justesse la jeunesse ouvrière en marge, la seconde se précise dans la radicalité de son geste en ce qu’elle dépeint les conflictualités même au sein de la production textile. Les corps en souffrance blessés, sclérosés, se dressent avec force contre les patrons qui refusent de leur verser leur dû. La chorégraphie des corps au travail se double alors d’une danse envers et contre le patron, pour la dignité. Aux machines à coudre se substituent les carnets et calculatrices. À la légèreté des échanges au travail, le direct de la négociation. À la tendresse de l’amour, la réalité d’une bouche supplémentaire à nourrir. Ici, les loisirs sont impossibles. Jamais une vidéo ne sera achevée, non plus qu’une cigarette. Après le travail, on cherche comment négocier son salaire ou on le joue au poker. 

Une fois encore, la matérialité est toute puissante. Elle envahit le cadre, le surabonde. Elle ne cesse d’ajouter au trop-plein : crachats, mégots, plastique, musiques, vidéos, tous disent la norme. Reste l’exception, et celle-ci découlera des récurrences subtiles créées par Wang Bing. Des personnages qui se ressemblent – tous ou presque des enfants de la ruralité – et à qui le montage faussement désintéressé permet de faire peuple en les rendant semblables face à leur beau souci.

Les aspérités de leurs existences ne sont jamais éludées mais elles s’inscrivent sans cesse dans le monde, à l’instar de Hu Siwen qui raconte dans son lit – ordinateur en fond sonore car le matériel ne disparaît jamais vraiment – comment il a subi la répression policière lors des émeutes de 2011. La violence de ce qui est relaté contraste avec la légèreté du personnage qui conclura, laconique, qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans tout ça. Une Chine sans justice avec une police violente, des magistrats corrompus et une censure exacerbée. Une Chine malade qui produit des individus malades. 

La caméra ne cherche jamais à disparaître. Par ses tremblements, ses ombres, ses souffles, elle est le témoin manifeste de ce qu’on n’aurait pas pu voir sans. Elle signifie sans montrer. Les personnages la font exister. Ils lui demandent des comptes (« Il sera fini quand votre film ? »), tentent de la contrôler (« Tu ne veux pas filmer quelqu’un d’autre ? ») voire se tournent vers elle pendant les conflits comme pour s’en remettre au jugement de l’image. Elle ne cherche pas à créer l’évènement mais simplement à être là lorsqu’il se produit. Lorsqu’un patron agresse violemment son fournisseur, nous n’en aurons que le récit et la foule, alliés de la caméra dans la conservation de la mémoire.

Puis, il y a l’impossible retour, préfiguré par la troisième partie de Jeunesse qui sortira cet été. Le retour à la campagne pour le Nouvel An, rituel long et coûteux, Le cadre s’ouvre, respire tout en n’omettant pas de nous signifier l’étouffement de ces familles. L’étouffement de ces villages où l’on s’entasse aussi. Tout ce que l’un des personnages aura à proposer à sa petite amie c’est de monter boire dans sa chambre car, selon lui, il n’y a rien d’autre à faire ici que d’attendre le véritable retour, à l’usine. Finalement, ce ne sont pas les aller-retours qui libéreront la jeunesse ouvrière chinoise mais le contraste qu’ils produisent et le refus de se résigner.

Jeunesse (Les Tourments), au cinéma le 2 avril.

Maël Zouareg-Truffier

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