Une fois de plus, Jacques Audiard a montré qu’il pouvait remplir les fonctions d’un couteau
suisse, en injectant une dose d’audace dans ses films, en osant passer d’un genre à un autre.
Le 18 mai cette année, le réalisateur français stupéfie le Festival de Cannes avec un musical
criminel Emilia Perez d’une surprenante originalité.
Connu pour ses réalisations telles qu’Un prophète (2009) ou De rouille et d’os (2012) qui
explorent un territoire angoissant et parfois oppressant, mais toujours teintés d’une aura
onirique, Audiard revient avec un projet imaginatif : raconter l’histoire d’un des barons de la
drogue les plus recherchés du Mexique, au moment où celui-ci ne trouve plus de bonheur
dans un corps d’homme et entame sa transition de genre. Comme le dit David Rooney de The
Hollywood Reporter : « Les films qui portent le nom de leur protagoniste féminine […]
revendiquent immédiatement la place légitime de cette femme au cœur de l’histoire […] même
si la femme en question n’apparaît qu’après un certain temps, émergeant d’un cocon des plus
improbables » La collision de deux mondes de nature radicalement différente — transition de
genre et le trafic de drogue semblent donner naissance à un film si inhabituel et pourtant les
deux heures devant le grand écran proposent une véritable maîtrise de la réalisation.
Zoë Saldaña offre une performance remarquable. Elle incarne Rita, une jeune avocate en droit
pénal, dont le patron exploite ses compétences juridiques et rédactionnelles tout en
s’attribuant tout le mérite. Un soir, Rita reçoit un appel mystérieux lui offrant une opportunité
de devenir riche. Malgré ses réticences initiales, elle se rend au point de rendez-vous indiqué
et se retrouve enlevée et conduite jusqu’à Manitas Del Monte, un chef de cartel notoire.
Celui-ci lui révèle un plan qui parait à première vue absurde : il souhaite finaliser son
processus de transition de genre, pour lequel il a déjà suivi un traitement hormonal pendant
deux ans. Rita est chargée de trouver le meilleur chirurgien au monde tout en gardant une
totale discrétion, même envers la femme de Manitas (Selena Gomez). Après la réussite de
l’opération et la mise en sécurité de la famille de Manitas, Rita reçoit une grosse somme
d’argent pour ses services. Au moment où Carla Sofía Gascón apparaît, la tendresse et la
sensibilité sont si palpables, depuis ses moments de vulnérabilité jusqu’à son affirmation de
soi et son désir d’authenticité.
Essentiellement, Audiard raconte une histoire dramatique qui explore la criminalité, la
rédemption, la violence, le vol de l’âme humaine, le thème du corps comme métaphore de la
prison. Cependant, il incorpore également un humour subtil, mêlant des moments de
mélodrame, léger rappel de télénovela, une montée en suspense culminant en une tragédie, et
tout cela sur fond de danses et de musicalité exceptionnelle, qui constitue l’atout principal du
film. Quelques scènes dynamiques et stylisées ressortent davantage, captivant immédiatement
l’attention du spectateur. Saldaña, est au centre de cette performance, brillant dans une scène
où elle danse avec une énergie envoûtante lors d’un gala de bienfaisance. Cette séquence,
marquée par une chorégraphie hypnotique, témoigne de sa détermination à défier les
puissants de Mexico City.
Indéniablement, la chanteuse Camille et le compositeur Clément Ducol restent les stars
cachées de cette production. Ils entrelacent le tempo, les variations, l’harmonie, les
respirations, les voix puissantes qui correspondent à chaque action. Les musiques sont
toujours justifiées par une scène spécifique et ne semblent jamais excessives, au contraire,
elles constituent l’essence même de l’histoire.